Une place à prendre

photos réalisées pour la plupart avec un film Ilford Hp5 400 et parfois le Delta 100 avec 2 appareils :  Canon 1V  &  Minolta Xg9. 
Pour la couleur  : Velvia 50 et E100G avec un Mamiya RZ67.

JULIE​

Home

« Sèvres-Babylone »

L’hiver est là, malgré un soleil intense et rasant, nos mains restent dans nos poches le plus longtemps possible. Rive gauche, Bon marché, Sèvres-Babylone et quelques petits parcs et jardins jalonnants. Boucicaut, Récamier, Jardin Catherine-Labouré. Paris compte de nombreux parcs et jardins de toutes sortes, mais ici, on n’est pas à Paris, on est chez Julie. C’est son quartier, son domaine. Il n’est pas un coin ou recoin qui ne soit histoire, un bout de banc qui ne soit souvenir, un pas qui ne soit première fois.

Choisir ces lieux, c’était dire de soi simplement, sans détour, sans tricher, sans chercher à plaire. De sa voix cristalline, elle conte d’un flot énergique, alternant questions et réponses d’un égal enthousiasme, d’une curiosité insatiable, et toujours d’une aménité réconfortante.
Et puis parfois un silence, l’honnêteté du secret. Même sa réserve est affable.

12.01.2017


Romain

Mister Hide

– Point Éphémère –

La voix est basse, tenue, et nécessite l’attention, la concentration. Chaque mot se pèse de silences discursifs. En harmonie, les gestes sont réduits, le corps se fait parcimonieux, prudent, légèrement distant. Cette frugalité invite l’interlocuteur au tact et à la mesure, à la patience, peut-être même à l’effort ; on n’approche pas Romain frontalement, on se tient à distance de courtoisie.
Nous sommes au Point Éphémère, lieu connu des amateurs d’art et de musique sur les anciens docks du canal Saint-Martin. En milieu de journée, le café-restaurant se peuple d’indolence et de ralenti, comme une avant-tempête. La porte de la scène est entrouverte, la fosse est vide et l’on imagine difficilement Romain dans l’effervescence de la foule, enfermé, dans la promiscuité des sueurs et des cris, bousculé, charrié d’une houle incontrôlable et dansante. Pourtant, lorsque le sujet devient musique notre conversation s’empresse et déborde. A l’entendre égrener les caf’ conc, péniches, cave voutés et autres lieux, nous aurions pu être n’importe où ailleurs, là où la musique se joue. Intarissable sur ces expériences acoustiques, il passe en revue la scène parisienne, s’enthousiasme sur des noms de groupes aussi improbable qu’interminable, de l’électro au rock indé, en passant par la dub et peut-être d’autres intitulés, démêle les publics, recompose les ambiances ; chaleur et turbulence.
On se souvient alors de cette apparente tempérance de début d’après-midi et l’on se dit, qu’il y a peut-être un subterfuge, une ruse pour décider plus fermement ; une construction logique et raisonnable pour décider à l’envie, de l’excès.
02/02/2017


Jean

Shakespeare in love

– Librairie Shakespeare & Cie –

Jean écrit, par métier et par envie surtout ; alors choisir une librairie pour son portrait a tout de la démonstration, du truisme, presque de la publicité.
A ceci près que nous sommes à La librairie Shakespeare & Company, haut lieu touristique du Quartier Saint Michel, qui ne propose que des livres en langue anglaise. Par-delà l’attention particulière de Jean pour les auteurs d’outre-manche, venir ici se révéla plus évocateur que je le soupçonnais.
Passé les rangés d’auteurs contemporains du rez-de-chaussée, l’étage supérieur se présente comme un joyeux capharnaüm de décoration désuète mêlant livres anciens, tableaux de petites annonces, une Remington d’apparat trônant sur une petite table avec vue sur fenêtre, d’un piano droit légèrement désaccordé dans une alcôve et dans les coins quelques fauteuils déjà pris.  De faibles lampes supportent l’éclairement de la mansarde, une silhouette longiligne en avançant le long des étagères tend le bras et effleure les titres. Tout semble attirer son regard, parfois avec précaution, il tire un ouvrage pour le feuilleter. Jean ajoute à la rigueur délicate du geste pour le livre, une préciosité obsessionnelle. Tout le poids de la littérature semble empeser son mouvement auquel s’ajoute le trouble du dérangement du rayonnage. Ce n’est pas un jeu, c’est une maladie, mais une maladie dont il se moque sans attendre qu’un autre s’en charge, prompt à toutes les audaces, avec un sens aiguë du ridicule, et du burlesque. Car l’esprit de sérieux s’arrête là où son sens du dérisoire commence. On pressent alors cet atavisme de flegme britannique chez cet aquitain de naissance, une propension à l’absurde que les tragédiens touchés par la mélancolie savent manier pour survivre.
Une attitude altière, parfois espiègle, d’une irrévérence salvatrice que les esprits affectés prennent à tort pour du mépris quand elle n’est que pudeur.
16/02/2017

Bertille

mea sponte

– Jardin des plantes –

Tout est sous contrôle. Sur le chemin qui mène au Jardin des plantes, Bertille pose plus de questions qu’elle ne répond : l’objet, le sens, le projet, la volonté, le cadre, l’envie – comprendre. C’est entendu ; de là, nous déambulons.
L’allée centrale agencée de lignes et de rectangles verts est déserte. Les arbres dépouillés ouvrent l’espace, augmentant la solitude et le froid. Dans le jardin de l’école botanique, il ne reste bien souvent que de l’herbe sauvage parsemée d’étiquettes. L’hiver persiste, mais cette vie endormie n’altère pas l’allant de cette normande d’origine. Entre les travées elle décrypte les longues dénominations latines, tente de deviner ce qu’il y a avant l’hiver, cherche les poissons dans les bassins, une brouette rouillée la questionne sur l’activité du jardinier. Tout prend de l’intérêt, les détails ne sont jamais superflus. Au son de l’obturateur, d’un regard en coin, on se rappelle parfois qu’il faut faire des photos. Le vent glacé nous enjoint à visiter dans les grandes serres au climat tropical. Malgré le confinement de verre et métal, cette végétation déborde. Les yeux de Bertille sautillent de branche en branche. Soudain sur le chemin, une pousse de figuier géant entortillé, le doigt pointé vers le ciel, coiffée de cette incongruité, son émerveillement redouble.
Au milieu de cette nature organisée, recréée, procèdent des expressions spontanées. Dans ce cadre défini, circonscrit, une vitalité frondeuse, joueuse. Bertille sourit.
L’enfant gagne.
03/02/2017